mardi 13 mars 2012

Songes figés


Je ne sais plus s'il est allumé ou éteint, le téléphone. Il ne sonne plus, ou pas, il ne parle jamais. Enfin il ne me parle jamais. J'ai oublié de parler. Enfin j'ai oublié ce que c'était, ou ce que c'est. J'ai de vagues senteurs de mon passé qui me sont restées, mais je ne les comprends plus. Je connais que ce canapé, cette chaise. On y est confortable, du moins j'y suis confortable. Je suis arrivé ici par un chemin ombré, ou recouvert par un soleil trop brillant, je ne sais pas, ou plus. Tout est pareil que maintenant, surtout le passé ; je n'arrive pas à accepter que le passé aie pu être le présent. Je n'ai pas bougé depuis un certain temps, dont j'ai d'ailleurs perdu le fil, ou la notion, enfin je sais plus. J'ai trop réfléchi, j'ai fondu, je ne suis plus que matière vide, atomes dénués de sens, existence ou pas du moi pour le moi. L'autre est quelque-chose que j'ai souvent cherché à définir. A mon esprit vient le mot angoisse. De quoi je ne sais plus, ou pas. Maintenant il n'en reste que les vestiges, elle s'est transformée en une mélancolie, angoissée par la possibilité de son éternité. L'éternité. Beau concept. Mais qui l'a vue, cette éternité? Qui en a eu l'expérience? Personne. Ou moi. Tout oublier, tout ignorer, c'est une forme d'éternité. Enfin je ne sais pas, ou plus. Voila ce que c'est pour moi. Ces murs blancs sont devenus ma peau, cette chaise, ma foi, et ce canapé, mon moi. Je me rappelle qu'autrefois, je pensais pouvoir me percevoir. Maintenant je crois que je perçois. Pas que ça en vaille vraiment la peine. Mais qu'est la valeur, à part ce que l'on donne nous-même aux choses? Quelques questions me restent dans l'esprit, comme des vents lointains que font danser les feuilles mortes de ce qui à été, ce qui n'est plus et qui sera toujours. C'est le chant d'un piano désaccordé. Enfin, désaccordé par rapport a la norme. Je suis la corde qu'on a voulu trop tendre, rendre trop aigüe , qui aimait cette liberté grave. J'ai du rompre. Avec moi, avec ça, avec ça, avec toi, avec eux, avec autrui. Je pense, donc je suis pour moi même. Je pense, et c'est tout. Je pense, mais je suis immobile. Je pense, donc je suis un, je suis singulier, je suis, mourant, même si le temps m'en empêche. Comme tout, il n'existe que quand on le fait exister. Le temps, c'est la religion de la mort. C'est l'attendre comme le Messie. C'est un acte absurde, mais comme toutes les croyances, au moins il donne un sens. Du moins un semblant de sens. Je n'ai pas voulu me séparer du temps, c'est lui qui s'est enfui ; il se sentait ici délaissé, je crois. Une épaisse fumée qui s'évapore. Je peux maintenant contempler cette clarté blanche, que même la lumière rend plus obscure. Je n'ai toujours pas réussi à définir ce qu'était cet entité ; serais-ce cet absolu dont j'ai toujours, et avec véhémence, nié l'existence? Personne ne me le diras, parce-qu'il n'y a personne, et parce-que comme l'éternité, personne ne l'a vu, l'absolu. S'il existe, ce qui est impossible, il se fait discret. Très discret. Voila une chose chez l'homme qui m'a toujours troublé. Cette faculté, ou plutôt cette obstination a essayer de comprendre puis de raconter l'ineffable. Enfin, si quelque chose est ineffable, c'est qu'elle est incertaine, improuvable ; c'est l'existence qui se contemple dans le miroir.

Tant d'incertitudes, tant de questions qui resteront sans réponse, ça aurait dû être ça, la cause de ma disparition, du moins aux yeux des autres. Mais même après tant de temps, ou devrais-je dire de moments conjoints, auxquels on ne peut donner de valeur, ce n'est pas le tourment de l'intellect qui l'emporte ; c'est bien, c'est toujours anxiété. Certes, j'ai essayé de la combattre, de l'oublier, de me divertir, de « vivre ma vie », mais son appétit grandissait à proportion du mien pour Toi. Oui, Toi ; toi serait bien trop banal, et mal compris, je pense. Toi qui avais installé la fabrique de l'espoir, tu as aussi installé la fabrique de l'anxiété. Car l'une va avec l'autre, du moins d'où je viens, ou plutôt où je suis, irrémédiablement, chaque chose entraine son contraire. Ainsi naquit le non-Toi. C'est de lui que j'ai eu peur, que j'ai voulu fuir ; c'est pour lui que j'ai mis ce masque d'ignorance, dont la société m'a vite renvoyé le reflet. C'est lui, pas moi, pas Toi, certainement pas Toi, qui m'a mené ici, du moins je pense, je ne me rappelle plus vraiment. Je sais qu'en tout cas tu as disparu a son profit ; lui, fidèle compagnon, reste, et restera éternellement à mes côtés, bien que caché dans les profondeurs subconscientes de mon Moi. Mon Moi, lui aussi, à été chassé, ou du moins je l'ai perdu, je ne peux plus être singulier, unique, je suis régi par plus fort que moi, soumis à une autorité omnisciente qui elle n'est ni substance ni âme.

dimanche 4 décembre 2011

Mon néant




Il ne reste plus que le silence radieux de l'absurde absolu. Un espèce de bourdonnement métaphysique s'impose peu à peu, envahit le néant. Je me sens comme porté par une armée d'insectes noirs, invisibles, lourds, des véritables phagocytes. Je qu'ils me lâchent ; je veux sauter, happé par le néant, par son infinité. L'Instinct me retient ; pourquoi ne puis-je pas lui désobéir, lui que j'ai tant malmené pendant toute mon existence? Je veux nager dans ce désert de sable incolore, me perdre dans lui ; on me dit que mon tour viendra. Je ne veux pas attendre. J'ai attendu de vivre, que ma vie prenne forme, mais ils m'ont menti. Le néant, lui, ne me ment pas. Il est, je l'ai senti. Il m'accompagne. Un compagnon certes insaisissable, mais enivrant et fidèle. Il possède une douceur âpre qui lui est propre. Je trouve en lui un confort précaire, une misère soulageante.

 Le néant est comme un pont sous lequel je m'abriterais , âme errante, une nuit d'hiver. C'est d'ailleurs de cette nuit d'hiver que me rappelle le néant : noire mais éblouissante, froide mais chaleureuse. Un univers d'une antinomie incontestable. Ils ne peuvent pas comprendre car il n'y a pas de conscience ni de perception universelle, je suis seul avec mon néant. Car, oui, voilà peut être la raison de leur ignorance : ce néant n'existe que pour moi, après tout. Enfin je sais pas, je n'ai aucun moyen de le savoir. Ma seule certitude est donc que ce néant existe pour moi, et donc qu'il m'appartiens. J'aime cette idée de posséder ce qui m'échappe.

Pas le temps de me perdre dans ces songes et ces comparaisons. Ils reviennent, Ils, les insectes, tous. Le bourdonnement devient des pas, ankylosés, rapides, menaçants ; je ne saurais les décrire. Le noir ne me cache pas, il m'envahit, il m'entoure : il me livre à eux! Je voudrais courir, je voudrais m'envoler, le néant m'aurais-t-il trahi? M'aurait il livré à eux? Ils cherchent à me renvoyer ; je ne suis pas a ma place ici selon eux. Je suis pourtant un réfugié. Ils me pensent trop plein, trop materiel pour être là. Pourtant, je ne suis là que mon âme, et une projection que je me suis faite de moi même dans mon néant. Je suis finalement enfermé dans moi même ; de quel droit peut-on me priver d'être dans ce que j'ai créé?  

mardi 7 juin 2011

Premiers songes

Le regard posé dans le vide, elle inhalait son bonheur par la fenêtre. Une fois qu'elle eût fini ce rituel qui, avec le temps, lui était devenu sacré, elle se retira dans sa chambre. Il régnait dans celle-ci un froid glacial. C'était pour elle un igloo, son igloo, qui l'isolait de la torpeur du monde extérieur ; son havre d'introspection, comme elle se plaisait a l'appeler. Elle s'était tant de fois comme aujourd'hui affalée sur ce lit pour se laisser envahir par ces pensées qui l'obsédaient, l'obnubilaient ; ces mêmes pensées qu'elle s'efforçait à repousser à longueur de journée, de peur de laisser transparaitre ces réflexions qui seraient surement considérées comme hérétiques et ridicules par son entourage. Elle s'abandonnait donc à ses songes dans ce cocon qu'un autre appellerait inconfortable et hostile, menant une réflexion sur la vie. Le fil de sa pensée lui paraissait omniscient et incontestable, tel le sermon d'un prêtre dans une église. Son monologue intérieur était un texte sacré et ses principes étaient des fruits cueillis dans le Jardin de la Pensée Humaine. « Ma pensée est unique et juste » s'écriait elle dans son intérieur, « et elle détient la clé pour délivrer l'humanité des maux qui la ravagent ».
Malgré ces certitudes, un certain éclectisme se manifestait dans ses points de vue ; tantôt elle déplorait la tournure artificielle qu'avait pris la société et se voulait une disciple de Proudhon, tantôt elle s'extasiait devant la beauté de l'insignifiance de la naissance, la vie et la mort. Certains diront que c'est la preuve d'une délibération encore verte et immature ; elle considère simplement la diversité comme la richesse de l'être.

Le réveil a toujours été, pour tout le monde, un moment ambigu et pénible. Le sommeil est après tout l'état le plus céleste qu'il soit, se disait-elle. Le subconscient prend le pas sur le conscient, les idées s'expriment et s'entremêlent sans aucune interférence du monde extérieur ; c'est le bal de la pensée. Le réveil, comme la première bouffée d'air d'un homme qui a cru mourir noyé, est rassurant, à la fois subtil et imposant. Il représentait pour elle le levé d'un soleil nommé réalité, une sortie de l'éternité du Jardin de la Pensée Humaine.
Il lui semblait toujours faire grisâtre dehors au moment du réveil, comme si le ciel servait de miroir à son état d'esprit. Ses matinées étaient toujours teintés d'une morosité et d'une léthargie qui la dominait silencieusement , contrastant avec les étoiles filantes et incontrôlables de la pensée qui étaient toujours visibles dans son ciel le soir d'avant. C'était peut-être d'ailleurs en essayant de se remémorer les évènements de la nuit d'avant qu'elle se plongeait dans cet état quasi-végétal ; elle se remettait sans doute de l'ivresse de sa propre pensée. Elle se demandait toujours a quoi ressemblaient ces feux d'artifices qu'elle regardait tout les soirs de son Jardin. Mais elle revenait vite à la raison, ou devrait-on dire à sa raison, et s'emplissait a nouveau de questions.
Le deuxième phase du réveil était Le Maquillage. Une préparation à l'interaction, à l'immersion sociale. Elle enduisait son esprit d'ignorance et de superficialité. Sans cette préparation quotidienne elle se sentirait nue, se disait-elle avec un soupçon de naïveté ; mais l'exposition de son âme était, après tout, sa plus grande peur. Elle se disait qu'un jour, quand elle se sentirait prête, elle arrêterait de s'infliger cette trahison de ses principes. Trahison, mensonge, hypocrisie, tout les superlatifs lui semblaient bons pour définir le suicide machinal et inéluctable de son esprit.

Les journées passaient comme un sablier s'emplit de sable ; d'une façon constante, fluide et insignifiante. Elle était insensible au passage du temps, comme bloquée dans son propre monde ou l'éternité serait reine. Un univers atemporel, pur, uniforme ou la notion du temps n'est qu'illusoire ; ou toute forme de vie serait sculptée dans la glace. Elle était dépourvue de sentiments normaux, croyait-elle . Ses dits « pareils » ne semblaient vivre que pour ça. Elle aussi aurait aimé brisé la monotonie de son quotidien de cette façon ; elle s'en voulait de son anomalie. « Ils se nourrissent de sentiments comme je me nourris de ma pensée » se disait elle avec effroi, avant de se laisser envahir par une douce sensation de solitude et d'isolation. Elle ne se rendait pas compte que chaque personne se prépare à sa façon pour le carnaval du quotidien, que toute personne, non seulement toute conversation, était couvert d'un voile noir, laissant percevoir la simple esquisse d'une silhouette sans en révéler les traits.
La partie la plus pénible de ses journées était l'interaction. Elle était l'otage de sa propre faiblesse, de sa propre incapacité a s'exprimer. Il y avait chez elle une pudeur, une peur démesurée d'être elle-même. Assumer son intérieur lui était impossible. Chaque mouvement, chaque regard, chaque parole était calculée, mesurée, de façon a ce que comme les autres qui l'entouraient, elle ne laisse qu'entrapercevoir la porte menant à sa personne. Elle se sentait à la fois en sécurité et emprisonnée, hors de danger mais sans liberté. Elle contenait ses idées et ses perpectives, les chérissant comme des bijoux, les protégeant comme des enfants. Elle admirait les rares êtres de son entourage qui alliaient harmonieusement l'être et le paraître. « C'est peut-être ça qu'on appelle le bonheur » songeait-elle souvent les observant. Ils étaient ni les plus intelligents, ni les plus chanceux, mais avaient réussis à ne pas disparaître sous l'océan de leur image. Ils ne se Maquillaient pas le matin et ne se torturaient pas avec leurs pensées ; il n'y avait tantôt pas réflexion, tantôt une capacité déconcertante à l'exprimer. Pour elle, il n'y avait pas de doute : ils étaient heureux et épanouis, comme elle l'avait été dans l'insouciance confortable de son enfance.  
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