Il ne reste plus que le
silence radieux de l'absurde absolu. Un espèce de bourdonnement
métaphysique s'impose peu à peu, envahit le néant. Je me sens
comme porté par une armée d'insectes noirs, invisibles, lourds, des
véritables phagocytes. Je qu'ils me lâchent ; je veux sauter, happé
par le néant, par son infinité. L'Instinct me retient ; pourquoi ne
puis-je pas lui désobéir, lui que j'ai tant malmené pendant toute
mon existence? Je veux nager dans ce désert de sable incolore, me
perdre dans lui ; on me dit que mon tour viendra. Je ne veux pas
attendre. J'ai attendu de vivre, que ma vie prenne forme, mais ils
m'ont menti. Le néant, lui, ne me ment pas. Il est, je l'ai senti.
Il m'accompagne. Un compagnon certes insaisissable, mais enivrant et
fidèle. Il possède une douceur âpre qui lui est propre. Je trouve
en lui un confort précaire, une misère soulageante.
Le néant est
comme un pont sous lequel je m'abriterais , âme errante, une nuit
d'hiver. C'est d'ailleurs de cette nuit d'hiver que me rappelle le
néant : noire mais éblouissante, froide mais chaleureuse. Un
univers d'une antinomie incontestable. Ils ne peuvent pas comprendre
car il n'y a pas de conscience ni de perception universelle, je suis
seul avec mon néant. Car, oui, voilà peut être la raison de leur
ignorance : ce néant n'existe que pour moi, après tout. Enfin je
sais pas, je n'ai aucun moyen de le savoir. Ma seule certitude est
donc que ce néant existe pour moi, et donc qu'il m'appartiens.
J'aime cette idée de posséder ce qui m'échappe.
Pas le temps de me perdre
dans ces songes et ces comparaisons. Ils reviennent, Ils, les
insectes, tous. Le bourdonnement devient des pas, ankylosés,
rapides, menaçants ; je ne saurais les décrire. Le noir ne me cache
pas, il m'envahit, il m'entoure : il me livre à eux! Je voudrais
courir, je voudrais m'envoler, le néant m'aurais-t-il trahi?
M'aurait il livré à eux? Ils cherchent à me renvoyer ; je ne suis
pas a ma place ici selon eux. Je suis pourtant un réfugié. Ils me
pensent trop plein, trop materiel pour être là. Pourtant, je ne
suis là que mon âme, et une projection que je me suis faite de moi
même dans mon néant. Je suis finalement enfermé dans moi même ;
de quel droit peut-on me priver d'être dans ce que j'ai créé?