mardi 7 juin 2011

Premiers songes

Le regard posé dans le vide, elle inhalait son bonheur par la fenêtre. Une fois qu'elle eût fini ce rituel qui, avec le temps, lui était devenu sacré, elle se retira dans sa chambre. Il régnait dans celle-ci un froid glacial. C'était pour elle un igloo, son igloo, qui l'isolait de la torpeur du monde extérieur ; son havre d'introspection, comme elle se plaisait a l'appeler. Elle s'était tant de fois comme aujourd'hui affalée sur ce lit pour se laisser envahir par ces pensées qui l'obsédaient, l'obnubilaient ; ces mêmes pensées qu'elle s'efforçait à repousser à longueur de journée, de peur de laisser transparaitre ces réflexions qui seraient surement considérées comme hérétiques et ridicules par son entourage. Elle s'abandonnait donc à ses songes dans ce cocon qu'un autre appellerait inconfortable et hostile, menant une réflexion sur la vie. Le fil de sa pensée lui paraissait omniscient et incontestable, tel le sermon d'un prêtre dans une église. Son monologue intérieur était un texte sacré et ses principes étaient des fruits cueillis dans le Jardin de la Pensée Humaine. « Ma pensée est unique et juste » s'écriait elle dans son intérieur, « et elle détient la clé pour délivrer l'humanité des maux qui la ravagent ».
Malgré ces certitudes, un certain éclectisme se manifestait dans ses points de vue ; tantôt elle déplorait la tournure artificielle qu'avait pris la société et se voulait une disciple de Proudhon, tantôt elle s'extasiait devant la beauté de l'insignifiance de la naissance, la vie et la mort. Certains diront que c'est la preuve d'une délibération encore verte et immature ; elle considère simplement la diversité comme la richesse de l'être.

Le réveil a toujours été, pour tout le monde, un moment ambigu et pénible. Le sommeil est après tout l'état le plus céleste qu'il soit, se disait-elle. Le subconscient prend le pas sur le conscient, les idées s'expriment et s'entremêlent sans aucune interférence du monde extérieur ; c'est le bal de la pensée. Le réveil, comme la première bouffée d'air d'un homme qui a cru mourir noyé, est rassurant, à la fois subtil et imposant. Il représentait pour elle le levé d'un soleil nommé réalité, une sortie de l'éternité du Jardin de la Pensée Humaine.
Il lui semblait toujours faire grisâtre dehors au moment du réveil, comme si le ciel servait de miroir à son état d'esprit. Ses matinées étaient toujours teintés d'une morosité et d'une léthargie qui la dominait silencieusement , contrastant avec les étoiles filantes et incontrôlables de la pensée qui étaient toujours visibles dans son ciel le soir d'avant. C'était peut-être d'ailleurs en essayant de se remémorer les évènements de la nuit d'avant qu'elle se plongeait dans cet état quasi-végétal ; elle se remettait sans doute de l'ivresse de sa propre pensée. Elle se demandait toujours a quoi ressemblaient ces feux d'artifices qu'elle regardait tout les soirs de son Jardin. Mais elle revenait vite à la raison, ou devrait-on dire à sa raison, et s'emplissait a nouveau de questions.
Le deuxième phase du réveil était Le Maquillage. Une préparation à l'interaction, à l'immersion sociale. Elle enduisait son esprit d'ignorance et de superficialité. Sans cette préparation quotidienne elle se sentirait nue, se disait-elle avec un soupçon de naïveté ; mais l'exposition de son âme était, après tout, sa plus grande peur. Elle se disait qu'un jour, quand elle se sentirait prête, elle arrêterait de s'infliger cette trahison de ses principes. Trahison, mensonge, hypocrisie, tout les superlatifs lui semblaient bons pour définir le suicide machinal et inéluctable de son esprit.

Les journées passaient comme un sablier s'emplit de sable ; d'une façon constante, fluide et insignifiante. Elle était insensible au passage du temps, comme bloquée dans son propre monde ou l'éternité serait reine. Un univers atemporel, pur, uniforme ou la notion du temps n'est qu'illusoire ; ou toute forme de vie serait sculptée dans la glace. Elle était dépourvue de sentiments normaux, croyait-elle . Ses dits « pareils » ne semblaient vivre que pour ça. Elle aussi aurait aimé brisé la monotonie de son quotidien de cette façon ; elle s'en voulait de son anomalie. « Ils se nourrissent de sentiments comme je me nourris de ma pensée » se disait elle avec effroi, avant de se laisser envahir par une douce sensation de solitude et d'isolation. Elle ne se rendait pas compte que chaque personne se prépare à sa façon pour le carnaval du quotidien, que toute personne, non seulement toute conversation, était couvert d'un voile noir, laissant percevoir la simple esquisse d'une silhouette sans en révéler les traits.
La partie la plus pénible de ses journées était l'interaction. Elle était l'otage de sa propre faiblesse, de sa propre incapacité a s'exprimer. Il y avait chez elle une pudeur, une peur démesurée d'être elle-même. Assumer son intérieur lui était impossible. Chaque mouvement, chaque regard, chaque parole était calculée, mesurée, de façon a ce que comme les autres qui l'entouraient, elle ne laisse qu'entrapercevoir la porte menant à sa personne. Elle se sentait à la fois en sécurité et emprisonnée, hors de danger mais sans liberté. Elle contenait ses idées et ses perpectives, les chérissant comme des bijoux, les protégeant comme des enfants. Elle admirait les rares êtres de son entourage qui alliaient harmonieusement l'être et le paraître. « C'est peut-être ça qu'on appelle le bonheur » songeait-elle souvent les observant. Ils étaient ni les plus intelligents, ni les plus chanceux, mais avaient réussis à ne pas disparaître sous l'océan de leur image. Ils ne se Maquillaient pas le matin et ne se torturaient pas avec leurs pensées ; il n'y avait tantôt pas réflexion, tantôt une capacité déconcertante à l'exprimer. Pour elle, il n'y avait pas de doute : ils étaient heureux et épanouis, comme elle l'avait été dans l'insouciance confortable de son enfance.  
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